À propos
Puissance des flous de Sylvie Payonne
Olivier Jullien, historien d’art
11 mai 2024
On a parlé souvent de flou artistique, sans vérifier ce que suggérait cette expression.
Il y a des pratiques artistiques nettement orientées vers la précision, la ligne, les structures et les définitions claires.
Mais l’usage artistique du flou correspond aussi à des sensibilités affirmées qui sont des manières de suggérer le doute et l’infini.
La valeur du flou est précisément de ne pas définir-finir-achever une forme ; de laisser respirer, de dégager un espace
pour un mouvement d’apparition et/ou de disparition.
Sylvie Payonne pratique ces confusions artistiques, délibérément car elle semble inviter les spectateurs à concevoir un infini ;
les apparitions et/ou disparitions de formes et silhouettes, grâce à ces imprécisions de contours,
affirment des présences fortes, qui sont en suspension.
L’estompage ou l’indéfinition des contours, ne signifient pas l’absence des corps et figures, mais leur présence dans une certaine durée.
L’artiste ne pousse jamais ses compositions jusqu’aux bords de ses supports, les paysages et les corps semblent flotter,
sans se raccrocher, sans s’amarrer aux rives des cadres.
La surface de la toile et du papier n’est pas une fenêtre, une trouée, mais comme un double de la rétine ;
en effet, nos rétines n’ont pas de bords nets, les phosphènes périphériques n’identifient pas
les formes précises ni les contrastes ; notre regard n’est pas cadré.
Nous retrouvons le modèle de la « camera obscura » et des « sténopés » car la camera obscura est une reconstitution de l’oeil,
mais s’y joint aussi la métaphore de la chambre, de l’intimité, du monde intérieur et d’un rapport discret avec le monde extérieur.
Les créations de Sylvie Payonne sont proches de ces captures floues de lumières.
Est-ce la raison de ces estompages, de ces contours incertains ?
Une chose est affirmée par contre dans tous les travaux de Sylvie, c’est la lumière, les ombres, les volumes.
Des sentiers qui sinuent sous des ramures, des herbes agitées sous le vent, la surface ridée des eaux,
autant de lieux incertains et mouvants, bien présents pourtant par les perspectives et les lueurs.
Peu de couleurs, qui définiraient trop, suggèreraient des anecdotes, des narrations.
Sylvie Payonne préfère les jeux de valeurs, des textures grattées, des épaisseurs, des repentirs,
des traces construisant en fait très précisément des formes.
Ces formes accrochent des lumières qui génèrent des lieux incertains.
De même, des corps emmêlés, justement sans contours ni silhouettes distinctes, car les contours de l’un sont les limites de l’autre.
D’ailleurs, où sont-ils ou elles ? Eux aussi suspendus, non lieux, seul.e.s au monde,
apparaissant ou disparaissant dans des luttes et des étreintes, vitales ou fatales.
Ainsi par séries successives un univers personnel est assumé,
qui au-delà d’une apparente fragilité propose des présences subtilement ambigües.